Les grandes vedettes du spectacle et du sport attirent les foules quand elles se font proches des gens simples et modestes. Pensons par exemple à la manière dont est admiré un grand champion qui crée une fondation pour des enfants pauvres. C’est l’histoire de la pierre rejetée, celle dont nous parle le psaume de ce dimanche de Pâques : la pierre qui soudain devient la « pierre d’angle » et est « une merveille devant nos yeux ».
Cette pierre, nous le savons, c’est Jésus. Si nous le comparons aux grandes vedettes, lui est la plus grande « vedette », non seulement parce qu’il est vraiment Dieu, mais surtout parce qu’il était proche des plus petits. Pourtant, à la différence des célébrités, chez nous sur le Vieux Continent, Jésus ne génère pas beaucoup d’émerveillement et de foi. Au fond, le pape François attire davantage que Jésus…
Peut-être que le moment d’humilité que nous sommes en train de vivre dans la foi est positif, car l’admiration que nous vouons à une grande vedette est une chose, mais la vraie foi en Jésus Sauveur en est une autre ! Et c’est de cette humble foi pascale dont j’aimerais vous parler aujourd’hui. Nous sommes ici pour célébrer Jésus ressuscité et nous croyons en lui avec amour.
Mais réfléchissons-y bien : comment Jésus nous a-t-il attiré ? Comment est née en nous la merveille de la foi ? Et comment pourrait-elle s’amorcer pour tant de sœurs et tant de frères de notre temps ?
Cherchons une inspiration dans l’Évangile de ce matin de Pâques, dans la course du disciple sans nom et de Pierre vers la tombe de Jésus.
En Israël, les tombes ont été considérées comme le royaume de l’obscurité éternelle des morts qui ne s’ouvrirait jamais et dont on ne ressortait jamais. Les tombes n’étaient donc pas un lieu où l’on pouvait entrer. Il s’agissait de lieux fermés pour toujours.
C’est pourquoi le geste de Pierre et du disciple était déjà risqué, puisqu’ils entrent dans le tombeau pour regarder. Mais le message est dans ce paradoxe : dans le monde des morts, sans lumière et sans vie, la lumière de la foi s’allume. En effet, après être entré dans le tombeau, le disciple « vit et cru ».
Observons d’un peu plus près cette affirmation : en théorie, c’est une absurdité ! Comment est-ce possible que l’absence constatée de Jésus nous amène à la foi ? J’aimerais vous rendre attentif à ce détail. L’évangéliste est très précis : le disciple n’a pas cru après avoir bien lu la Bible. La phrase du commentaire est claire : « Ils n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. » Méditer sur ces prophéties anciennes, relire l’aventure de Jésus à la lumière de la Bible… cela s’est fait uniquement dans ce que nous pourrions appeler la « deuxième phase ».
Mais ici, au matin de Pâques, dans le tombeau, avec les linceuls et le suaire bien pliés, nous sommes encore à la « première phase » : quelque chose attire le disciple, précisément dans ce tombeau ouvert, vide et sombre, et ce n’est pas encore la victoire, ce n’est pas encore l’apparition de la grande vedette ressuscitée. Ce premier « croire » vient simplement de la constatation du vide.
Mais revenons à nous, aujourd’hui. Cela fait aussi partie de notre expérience de vie que d’entrer dans le vide et de nous rendre compte de nos limites ! Et quand l’homme touche le fond, lorsqu’il atteint ses limites, lorsqu’il reconnait vraiment toutes ses faiblesses, que lui arrive-t-il ? C’est un moment très délicat, dans lequel, si nous lui faisons de la place, peut naître une foi profonde. L’humilité d’une expérience de faiblesse pousse vers l’unique direction possible pour s’en sortir : avoir confiance. Si, en constatant sa faiblesse, l’homme ne passe pas à la confiance, il plonge vraiment vers le vide. Si, au contraire, il réagit, il voit que la seule issue possible, c’est de faire confiance et de croire. Voici la « merveille devant nos yeux » !
L’évangéliste Jean montre une grande sensibilité au visuel. Dans son évangile, le « voir » indique un contact très intime avec la limite humaine, avec notre pauvreté. Et le message de Jean est extraordinaire : si l’homme voit vraiment sa propre limite, ce contact visuel fait briller une étincelle qui est déjà un « croire » ! « Voyez et croyez ! »
Avant la foi solide, la foi pensée, la foi formée, il y a en somme une foi élémentaire, instinctive, qui naît au contact avec ce que nous sommes en profondeur, y compris notre fragilité humaine. Si nous fuyons notre propre limite, si nous la masquons, si nous faisons semblant de ne pas la voir, nous ne croirons jamais. Par contre, si nous assumons nos limites, si en fait, pour le dire ainsi, nous entrons courageusement dans le tombeau, alors il peut se passer aujourd’hui aussi pour nous un miracle de foi.
Peut-être que parfois nous, les prêtres, nous sous-évaluons cette « foi profonde » présente dans la vie quotidienne de tant de personnes ! Nous voulons immédiatement une foi institutionnelle, formée, instruite, ecclésiale, adulte.
Nous voulons tout de suite une foi « de Pentecôte », lorsque Pierre annonce que Jésus est le « juge des vivants et des morts », comme nous le rappelaient les Actes des apôtres. Mais, dans cette page de Jean, nous sommes seulement au matin de Pâques et au matin de Pâques, la première foi était d’une autre nature : certes plus humble, mais beaucoup plus fondamentale. Pourquoi ne savons-nous pas reconnaître et valoriser aujourd’hui ce type de foi ? Nous sommes trop exigeants en matière de foi et nous ne savons pas apprécier l’élan de foi de ceux qui « voient et croient » simplement !
Chers amis, en ce matin de Pâques rappelons-nous des moments durant lesquels la foi a surgi en nous avec candeur et émotion. Nous nous sommes abreuvés à cette foi comme à une source fraîche de montagne ! Notre cœur a vu quelque chose de nous et de la vie qui nous a poussés, malgré tout, vers la confiance. Nous avons pu faire l’expérience que la limite n’est pas tout et que ce Jésus, dont nous savons peu de choses, est vraiment vivant parmi nous.
Ensuite, la première gorgée à la source fraîche nous pousse à continuer notre chemin pour consolider la foi et la rendre plus précise. Le passage de l’évangile poursuit en nous montrant comment Jésus s’approche de Marie de Magdala, comment il l’appelle par son nom et comment elle le reconnaît.
Saint Paul exprime toute sa foi adulte lorsqu’il chante : « Christ notre vie ! » La voilà, la foi qui grandit, la foi qui devient rencontre de l’amour. Et aujourd’hui, tant de croyants se sentent vraiment appelés au nom du Ressuscité, ils se sentent vraiment aimés. Mais n’oublions pas l’origine mystérieuse de la foi, qui est déposée dans la profondeur d’un humble vide, qui un jour s’est ouvert à une confiance fondamentale.
Nous devrions apprendre davantage à descendre dans la profondeur de notre limite. Nous devrions nous exercer à accueillir avec humilité notre petitesse, parce que si nous le faisons, le désespoir ne naîtra pas en nous, mais l’espérance et l’attraction vers un salut possible. Dans l’instant de ce « voir » naît déjà le miracle de la foi et tant de personnes pourraient témoigner que c’est exactement ce qu’elles ont vécu.
Nous qui, aujourd’hui, célébrons cette eucharistie pascale, nous sommes ici avec notre foi parce qu’un jour quelque chose en nous a commencé. Si, en revanche, nous sommes ici uniquement par tradition ou par doctrine, nous avons besoin d’une secousse, nous avons besoin de retoucher à notre limite, de recommencer dans l’humilité et de ressentir radicalement notre besoin d’être sauvé. La foi de celui qui n’a pas confiance peut partir déjà d’un contact visuel simple et sincère avec son propre vide, avec sa propre limite. Mais, même la foi de celui qui a déjà cheminé a besoin, toujours et à nouveau, de sentir notre être petit et vide afin de renaître et de grandir. C’est seulement comme cela que le Christ pourra être vraiment « notre vie ». Amen.
Références bibliques : Ac 10, 34a.37-43 ; Ps. 117 ; Col 3, 1-4 ; Jn 20, 1-9
Référence des chants :