Par Julia Itel – Publié le 09/11/2023
Thomas d'Aquin (1225/6-1274) est un frère dominicain italien, devenu l'un des plus éminents maîtres de la philosophie scolastique et théologiens de l'Église catholique. Il a été proclamé docteur de l'Église en 1567.
Qui est Thomas d'Aquin ?
28 janvier - Saint Thomas d'Aquin (1225 - 1274)
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Jeunesse et formation
Thomas d’Aquin est né en 1225/6 à Aquinino, une commune de la province de Frosinone, à mi-chemin entre Rome et Naples. Sa famille est d'origine lombarde Et détient le domaine de Roccasecca, situé à la limite des États du pape et de ceux de l'empereur Frédéric II.
Thomas est le plus jeune des fils de la famille. À cette époque, il est donc coutume d'offrir son cadet à l'Église. Il est ainsi envoyé à l'abbaye bénédictine du Mont-Cassin dès l'âge de cinq ans pour y être éduqué. Mais, pour sa famille, il s’agit surtout d’une opportunité pour leur fils de devenir abbé et d'exercer une certaine influence dans la région. Toutefois, le Mont-Cassin est le théâtre des tensions existant entre le pape et l'empereur. La famille retire alors Thomas et l'envoie à Naples pour ses études sur les conseils de l'abbé.
Au Studium regni, une académie créée par Frédéric II pour faire concurrence à l’Université de Bologne, il est initié à l'art et à la philosophie, et en particulier aux travaux d’Aristote, encore interdit à Paris, ainsi qu à l'astronomie arabe et à la médecine grecque.
Vie monastique et académique
À Naples, Thomas rejoint l'Ordre des Dominicains vers 1244, sans doute pour satisfaire son goût de l'étude et de la transmission ainsi que son désir de pauvreté. Cela suscite l'opposition de ses parents, inquiet de voir leurs plans d’origine compromis. Ils le font chercher et ramener de force au domaine familial et le garde assigné à résidence une année. Pendant ce temps-là, Thomas se plonge dans l'étude de la Bible et la prière. Mais comme il ne fléchit pas, ses parents le renvoient à Naples.
Peu de temps après, il accompagne le maître de l'Ordre, Jean le Teutonique, à Paris puis à Cologne pour étudier sous la direction d'Albert le Grand, un maître en théologie dont la réputation n'est plus à faire. Le maître est un grand promoteur de la culture grecque et des sciences comme la biologie. Il souhaite également « rendre Aristote intelligible aux latins », ce dont Thomas bénéficie bien évidemment. Il est également probable que c'est à cette époque qu'il se fait ordonner.
Une fois son cursus de philosophie et de théologie terminé, il retourne à Paris comme bachelier en 1251/2 où il enseigne. Puis, après avoir rédigé son Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard, un ouvrage incontournable dans la formation théologique depuis le XIIIe siècle, il devient maître en théologie en 1256.
Enseignement du "boeuf muet de Sicile"
Taciturne et corpulent, est attribué à Thomas le surnom de « bœuf muet » - peut-être pour souligner également la grandeur de sa valeur intellectuelle. En effet, la qualité de l’enseignement de Thomas est appréciée. Celui-ci repose principalement sur le commentaire de la Bible, la dispute (disputatio) privée et collective ainsi que la prédication pastorale. Il publie d’ailleurs un certain nombre de ses Questions disputées.
À partir de 1259, il retourne en Italie et assume la formation permanente de la communauté d’Orvieto comme maître-régent. C'est là qu’il achève la rédaction de la Somme contre les Gentils, un ouvrage destiné aux chrétiens amenés à fréquenter des milieux intellectuels païens, comme dans les pays musulmans (n’oublions pas que les croisades sont toujours d’actualité en ce temps), afin qu’ils soient préparés à discuter de la doctrine chrétienne.
Il se rend ensuite à Rome (1265-1268) pour former de jeunes dominicains. Il rédige alors, entre autres, le Commentaire du Livre de Job ainsi que le Compendium theologiae, un traité sur la foi chrétienne resté inachevé. Enfin, il voyage et enseigne de nouveau à Paris puis à Naples.
Thomas d'Aquin et l'émergence de la scolastique
Au coeur des tensions entre foi et raison
Alors qu'il est encore un jeune étudiant à Paris, Thomas se retrouve au cœur d’une série de controverses intellectuelles importantes concernant la réception et la diffusion de la philosophie d’Aristote, entrant en tension avec l’enseignement chrétien traditionnel. En effet, ses ouvrages sont interdits depuis 1210 (bien que, dans les faits, ceux-ci circulent quand même).
Parmi les sujets brûlants se trouve la dichotomie entre foi et raison : pour Aristote, la raison est le principal outil pour comprendre le monde. En effet, pour le philosophe grec (ayant vécu au IVe siècle avant notre ère), tout peut être expliqué par des causes naturelles et par l'observation empirique du monde. Cela contraste avec l’approche chrétienne qui indique que la raison seule ne suffit pas mais qu’il faut, au contraire, s’en remettre à la révélation divine et la foi pour comprendre le réel.
De plus, contrairement à la conception chrétienne de l’immortalité de l’âme et d’un univers créé ex nihilo par Dieu, Aristote défend l’idée d’un univers éternel, précédant tout, et de l’âme comme étroitement liée au corps.
La scolastique : réconcilier foi et raison
Thomas d’Aquin est considéré comme l’un des maîtres de la scolastique. Le terme « scolastique » vient du latin scholasticus, qui signifie « qui appartient à l'école ». En tant qu’école de pensée philosophique et théologique médiévale, la scolastique cherche à synthétiser la philosophie de l'Antiquité classique, en particulier celle d'Aristote, avec les enseignements chrétiens. Elle se caractérise par une attention rigoureuse à la dialectique et à la logique, souvent centrée sur la résolution de contradictions, comme celle entre foi et raison, et impliquant la méthode de la dispute.
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Thomas a, comme dit précédemment, beaucoup étudié l’œuvre d’Aristote. Ses études théologiques et bibliques lui permettent de réussir avec brio une synthèse des deux pensées. En effet, pour lui, la foi et la raison sont deux voies de connaissance qui se complètent et ne s'opposent pas : la raison est un don de Dieu et un moyen essentiel pour comprendre le monde et la théologie. Il soutient que la vérité, qu'elle soit découverte par la foi ou la raison, est cohérente et compatible, car toutes les vérités viennent de Dieu.
Il distingue cependant ce qui peut être connu par la raison de ce qui peut être appréhendé par la foi, ceci résultant en deux typologies de théologie : l’une « ascendante » et l’autre « descendante ». La première est une théologie dite « naturelle » et part de la raison, du bas (l’humanité), pour comprendre le haut (Dieu). Il est ainsi possible de démontrer l’existence de Dieu par la raison en recourant à des arguments logiques basés sur l’observation du monde naturel (ex : dans la Création). Toutefois, ce cadre est limité car certains mystères, comme la Trinité, ne peuvent être élucidés par la logique rationnelle. Il faut alors s’en remettre à un deuxième type de théologie, celle fondée sur la Révélation, c'est-à-dire l’Écriture sainte pour découvrir les grands mystères divins.
La Somme théologique (1266-1273)
Dans ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, la Somme théologique, rédigée entre 1266 et 1273 mais restée inachevée, Thomas d'Aquin présente un manuel destiné aux étudiants en théologie dans l’objectif de remplacer les Sentences de Pierre Lombard. C'est dans cette œuvre que Thomas développe son raisonnement permet de réconcilier la philosophie aristotélicienne à la doctrine chrétienne, affirmant que la foi et la raison sont non seulement compatibles mais se renforcent mutuellement.
La Somme est structurée en trois parties principales. La première partie traite de Dieu, de son existence, de sa nature et il développe ses célèbres « Cinq Voies » pour prouver l'existence de Dieu, basées sur le mouvement, la causalité, la contingence, la perfection, et la finalité. La deuxième partie explore la morale humaine, discutant des vertus, des vices, des lois, et de la grâce. Thomas y examine comment l'homme peut atteindre sa fin ultime, qui est Dieu, à travers des actions vertueuses et l'observance de la loi divine. La troisième partie, enfin, se concentre sur le Christ, l'Incarnation, et les sacrements, qu’il considère comme des éléments clés de la vie chrétienne et des moyens par lesquels la grâce divine est communiquée aux croyants.
Mort et canonisation de saint Thomas d'Aquin
Brillant intellectuel, Thomas d’Aquin n'en reste pas moins un homme de prière qui dédie une partie de ces journées à la contemplation. À la fin de sa vie, après une messe, il vit une expérience mystique si profonde qu'il arrête d'écrire : « Je ne peux plus. Tout ce que j'ai écrit me semble de la paille en comparaison de ce que j'ai vu. ». Sa santé décline ensuite rapidement et il meurt le 7 mars 1274, à l'âge de 49 ans, alors qu'il se rend à Lyon pour le concile initié par le pape Grégoire X.
Parce qu'il a promu le rapprochement entre la foi et la raison, Thomas d’Aquin est condamné après sa mort en 1277 par l’évêque Étienne Tempier. Il est ensuite réhabilité grâce à l'influence croissante des Dominicains. Thomas d'Aquin est ainsi canonisé en 1323 et proclamé docteur de l'Église en 1567. Son influence s'étend bien au-delà de la sphère théologique ; il a profondément marqué la philosophie occidentale, influençant des penseurs comme Descartes et Hegel.