Par Julia Itel – Publié le 15/09/2023
Catherine de Sienne (1347-1380) est une sainte et mystique catholique italienne. Elle est connue pour ses nombreuses expériences mystiques, ses écrits spirituels (comme Le Dialogue) et son rôle actif dans la réforme de l’Église catholique à l’époque du schisme d’Occident en exhortant l’unité de la papauté et le retour du Souverain pontife à Rome.
Catherine de Sienne, la mystique
La cellule intérieure
Née un an avant le début de la Peste noire, en 1347, Caterina di Benincasa est la vingt-troisième enfant d’une fratrie de vingt-cinq. Sa sœur jumelle meurt peu de temps après sa naissance. Elle grandit à Sienne, au sein d’une famille modeste (son père est teinturier). La ville est, en effet, réputée pour sa richesse artisanale mais connaît malheureusement, à cette période de l’histoire une passe difficile. Le Trecento italien (XIVe siècle) est marqué par des troubles politiques et économiques importants, résultant de luttes de pouvoir internes et fratricides entre les cités-états italiennes.
Ce sont des sources hagiographiques, en particulier de la Legenda maior écrite par son confesseur Raymond de Capoue, que nous est parvenu le récit biographique de Catherine de Sienne. Il raconte qu’à l’âge de six ans, elle reçoit une première vision du Christ « suspendu dans les airs, un trône d’une grande beauté, orné avec une magnificence royale. Sur ce trône, comme un empereur et revêtu des ornements pontificaux, et coiffé de la tiare, était assis le Seigneur Jésus- Christ, Sauveur du monde. Auprès de lui se tenaient Pierre, le prince des Apôtres, Paul et le saint évangéliste Jean. À cette vue, la fillette demeura comme clouée au sol, les yeux fixes, regardant amoureusement son Sauveur et Seigneur, qui se montrait de cette manière pour captiver son amour. Les yeux fixés sur elle, les yeux pleins de majesté et lui souriant avec douceur, il leva la main droite et, faisant le signe de la croix, ainsi que le font les prélats, il lui fit le don de son éternelle bénédiction. »
Catherine de Sienne connaît là une profonde conversion spirituelle. Un an plus tard, elle fait secrètement le vœu de rester à jamais vierge et implore la Vierge Marie de lui donner pour Époux le Christ. Sa vocation se précise, elle choisit la voie de la sainteté. Mais sa famille a pour elle des intentions différentes. En effet, sa mère Lapa souhaite la marier. Mais Catherine refuse catégoriquement et s’entête. Sur la recommandation de son confident, le dominicain Tommaso della Fonte, elle se coupe les cheveux. La jeune fille n’est alors plus « mariable » et ses parents, furieux, la contraignent à remplir les tâches ménagères. C'est là qu’elle construit, dans le creux de son âme, une « cellule intérieure ». Pour Catherine, la cellule intérieure représente l'endroit secret et sacré de l'âme où l'individu peut entrer en communion profonde avec Dieu. C'est un espace intérieur de méditation et de prière où l'âme peut se retirer pour trouver la présence divine et la guidance spirituelle. Plus tard, Catherine de Sienne encourage la recherche de cette cellule intérieure comme moyen de se rapprocher de Dieu et de vivre une vie spirituelle plus profonde et plus significative.
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Le désir de l’ascèse
Familière de l’ordre des Frères prêcheurs (dont la famille fréquente plusieurs de ses membres), Catherine nourrit secrètement le désir de rejoindre ses rangs et elle prie Dieu de l’exaucer. Une nuit, saint Dominique lui apparaît en songe. Tenant à son bras l’habit des dominicaines de la Pénitence, il lui assure qu’un jour, elle aussi portera cet habit. Ce rêve lui donne le courage d’affronter ses parents et de leur affirmer son souhait de se consacrer à Dieu. Devant tant de ferveur, son père accède à sa demande. Elle passe les prochaines années enfermée dans une petite chambre à prier et à infliger à son corps de multiples privations. Flagellations, privations de nourriture et de sommeil : elle embrasse pleinement la vie de pénitence jusqu'à devenir une « virtuose de l’ascèse ». Lorsqu’elle sort de sa chambre, c'est pour assister à la messe donnée à l’église San Domenico. Analphabète, c'est là qu’elle s’imprègne des lectures de la Bible et des homélies, qui forment selon Bernard Sesé « le socle de sa doctrine spirituelle ».
En 1374-5, elle entre dans le tiers ordre de la Pénitence de saint Dominique, dont les membres (laïques) sont appelées les « mantellate » en raison du port d’un manteau noir (« mantellata »), symbole d’humilité, au-dessus d’une robe blanche, représentant la pureté. Ces femmes qui ne vivent pas en communauté, principalement des veuves et avancées en âge, se consacrent aux œuvres de charité.
Le Christ intérieur, suivi des noces mystiques
Bien que physiquement recluse dans sa petite chambre, intérieurement, Catherine vit des extases de plus en plus fréquentes. Elle entre, de ce fait, en relation directe avec le Christ qu’elle qualifie de « maître » : « [m]on Seigneur et maître, le précieux et très doux Époux de [m]on âme ». Quand elle doute de la provenance de ses visions, c'est Lui qui se manifeste et la rassure : « je veux te donner un signe véritablement infaillible et sûr. Tiens pour assuré que, puisque je suis La Vérité, mes visions doivent toujours produire comme fruit pour l’âme une plus grande connaissance de la vérité. » ; « Catherine, ma fille, lui dit-il, vois-tu combien j’ai souffert pour toi ? Il faut que tu acceptes, toi aussi, de souffrir pour moi. – Seigneur, répondit-elle, où donc étais-tu quand mon cœur était tourmenté par les tentations ? Et le Seigneur repartit : – J’étais dans ton cœur. »
Vers 1367-8, Catherine en oraison vit l’expérience mystique de l’union ultime entre Dieu et l’âme humaine : les noces mystiques. « Puisque pour l’amour de moi tu as rejeté loin de toi et fui toutes les choses vaines, et qu’avec le mépris des plaisirs de la chair, tu as mis en moi seul les délices de ton cœur, maintenant que les autres dans ta maison se divertissent à table et font des fêtes mondaines, je veux célébrer avec toi la fête nuptiale de ton âme, et, comme je te l’ai promis, je t’épouse dans la foi. » Après qu’elle voit le Christ lui glisser au doigt un magnifique anneau d’or serti de perles et de diamant, Celui-ci lui dit « Tu garderas sans tache cette foi jusqu’à ce que tu viennes au ciel pour y célébrer avec moi les noces éternelles. Désormais, ma fille, agis virilement et sans aucune hésitation en tout ce qui, par la disposition de ma Providence, s’offrira à toi. Armée comme tu l’es par la force de la foi, tu vaincras heureusement tous tes adversaires. » C'est cet événement qui marque, selon son biographe, le début de sa vie publique.
La vie publique de Catherine de Sienne
La vie publique de Catherine de Sienne débute autour de 1370 après qu’elle reçoive du Christ l’ordre d’assumer sa nouvelle mission : « Ton cœur va s’enflammer si fortement pour le salut du prochain, que, oubliant ton sexe, tu vas changer le mode de vie que tu as mené jusqu’ici, tu cesseras de fuir, selon ton habitude, la compagnie des hommes et des femmes, et pour le salut de leurs âmes tu te mettras à l’œuvre à la mesure de tes forces [...]. Mais ne te trouble pas, ne crains rien, car je serai toujours avec toi [...]. Tu exécuteras virilement tout ce que l’Esprit te suggérera. » Celle-ci prend plusieurs formes.
« Dominicaines. Paroles de femmes »
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L’engagement envers les pauvres et les démunis : miracles et conversions
Exhortée par le Seigneur à diffuser l’amour divin, Catherine assiste et réconforte les malades, rend visite aux nécessiteux. Elle n’hésite pas à soigner, en posant ses mains sur les lépreux ou des malades atteints de la peste, jusqu'à tomber elle-même malade. Mais rien ne l’atteint. Les témoignages de guérison miraculeuse se multiplient, ceux de conversion à son contact également. Ceux-ci vont être consignés par un auteur anonyme dans Les miracles de Catherine de Sienne.
La « belle brigade »
Rapidement, une petite troupe se rassemble autour d’elle, issue de toutes les couches sociales. Sa « belle brigade » (« bella brigata »), qui la surnomme « mamma », est composée d’autres mantellate, l’aidant dans ses œuvres de charité, mais également de laïcs et de religieux. Parmi eux se trouvent ses confesseurs Tommaso della Fonte, Bartolomeo di Domenico, Angelo degli Adimari et Tommaso Caffarini. Elle joue auprès d’eux le rôle de conseillère spirituelle. C'est également à cette période qu’elle rencontre Raymond de Capoue, son nouveau confesseur et futur maître général des Frères prêcheurs.
Ambassadrice pour l’unité de l’Église
En 1375, après la messe célébrée lors du dimanche des Rameaux, Catherine entre en extase et est marquée des stigmates du Christ, invisibles aux yeux de tous. Raymond de Capoue relate : « par la miséricorde du Seigneur je porte sur mon corps ses stigmates [...]. J’ai vu le Seigneur cloué sur la croix venir vers moi au milieu d’une grande lumière. L’élan de mon âme, désireuse d’aller vers son Créateur fut tel, que mon corps a été obligé de se lever. Alors, des cicatrices de ses très saintes plaies, j’ai vu descendre vers moi cinq rayons de sang, dirigés vers mes mains, mes pieds et mon cœur. » Son engagement public prend alors une tournure politique et elle s’évertue à mener à bien deux projets qui lui tiennent à cœur : rétablir la papauté à Rome et reprendre Jérusalem aux mains des Turcs.
En effet, au XIVe siècle, la papauté est divisée entre Avignon et Rome. Déjà soutenu par Brigitte de Suède, le retour du Souverain pontife à Rome est désiré par Catherine de Sienne qui ne ménage pas ses peines pour y parvenir. Lettres et conseils adressés au pape Grégoire XI et à d’autres personnalités religieuses influentes, jeux diplomatiques entre l’Église et les cités-états italiennes rebelles, appels à réformer l’Église (elle critique abondamment les abus et les scandales et plaide pour une réforme spirituelle et morale) ... Elle cherche avidement à réconcilier l’Église, Épouse du Christ. En 1377, Grégoire XI reconquiert la Cité éternelle.
La même année, elle fonde à Belcaro le monastère de Sainte-Marie-des-Anges.
L’œuvre spirituelle de Catherine de Sienne
En plus de ses quelques 400 lettres envoyées aux personnalités religieuses et laïques influentes de son temps, dans lesquelles elle s’évertue à prêcher l’amour de Dieu pour celui de son prochain (aussi décrit dans Les oraisons, un recueil de 26 prières), elle fait rédiger entre 1377 et 1378 Le Dialogue, fruit de son colloque continu avec Dieu.
Dans cet ouvrage, Catherine de Sienne rapporte ses expériences mystiques et ses conversations intérieures avec Dieu. Elle utilise un dialogue entre une âme humaine (représentée par elle-même) et Dieu pour explorer des thèmes tels que la foi, la prière, la vie spirituelle, la rédemption et la relation entre l'âme et Dieu. L'œuvre encourage les lecteurs à chercher la sainteté, à s'engager dans la prière contemplative et à vivre une vie en accord avec les enseignements chrétiens. Le Dialogue est un livre important de la spiritualité chrétienne et a exercé une influence considérable.
Catherine de Sienne, sainte et docteur de l’Église
Catherine de Sienne décède le 29 avril 1380 à Rome, à l’âge de 33 ans seulement. Souffrant d’anorexie toute sa vie, son acharnement à agir en tant que conseillère spirituelle et médiatrice de l'Église catholique a fini d’épuiser son corps. Son âme, quant à elle, est tourmentée par le schisme d’Occident qu’elle ne parvient pas à arrêter. Harassée, elle s’éteint en prononçant « Père, dans tes mains je remets mon âme et mon esprit, inclinato capite, emisit spiritum.” »
Elle est canonisée en 1461 par le pape Pie II et vénérée comme l'une des grandes saintes de l'Église catholique. Sa fête liturgique est célébrée le 29 avril en mémoire de sa mort. Elle est également proclamée co-patronne de l'Italie en 1866, aux côtés de saint François d'Assise, et docteur de l’Église en 1970 par Paul VI, en même temps que Thérèse d’Avila.