C'est dans des conditions minimalistes qu'Élodie Buzuel a tourné en univers carcéral. Avec son chef opérateur, la réalisatrice signe, La visite, un documentaire diaphane dans les pas de cinq aumôniers chrétiens de Fleury-Mérogis. Interview.
Un documentaire proposé par Le Jour du Seigneur / Présence Protestante, co-produit par Zadig Productions, France TV studio et CFRT.
Comment vous êtes-vous retrouvée à Fleury-Mérogis ?
Tout est parti de ma rencontre avec Benoît. Un jour, ce franciscain m’a parlé de sa mission d’aumônier en prison depuis dix ans qu’il visite. Je voulais comprendre ce qu’il vivait et des mois plus tard, je l’ai recontacté en lui demandant si je pouvais l’accompagner. Ce fut le début de mes repérages à Fleury-Mérogis, le plus grand centre pénitentiaire d’Europe avec près de 4500 personnes détenues, une ville dans la ville.
Qui sont ces « visiteurs » que vous suivez ?
Mères au foyer, pasteur, franciscain, il n’y a pas de profil type pour être aumônier mais tous doivent avoir le diplôme universitaire "Droit, laïcité et aumôneries religieuses" et être agréés par le Ministère de l’Intérieur. Ces aumôniers chrétiens, je les accompagne derrière les grilles jusque dans les cellules, où ils se présentent pour rencontrer un détenu qui leur en a fait la demande.
Pourquoi ont-ils accepté que vous les filmiez dans l’exercice confidentiel de leur mission ?
Mon projet a d’abord été accueilli avec réserve. À juste titre. Quelque chose d’extrêmement intime se joue quand l’aumônier pénètre dans une cellule. Il fallait protéger ce chemin difficile et délicat entrepris par les personnes détenues. Et puis au fil de l’immersion, la confiance est née et a rendu possible ce documentaire sans commentaire.
Quelles ont été vos conditions de tournage ?
Minimalistes. Il a fallu appréhender l’espace et le temps différemment. L’univers carcéral est très particulier. Mon chef opérateur et moi avons mis quelques jours à nous ajuster. L’exiguïté des cellules, et le temps alloué à chacune des visites nous ont poussé à faire des choix rapides et radicaux. À deux durant la majorité du tournage, nous avons filmé le face à face de l’aumônier et de la personne détenue réunis dans un même cadre par le jeu des champs, des contrechamps et des amorces. Il fallait se faire discrets, se montrer très habiles pour placer rapidement l’unique caméra, trouver le bon axe pour recueillir cette parole échangée et cette lumière naturelle que nous recherchions.
Et de la part des détenus ? Quel accueil avez-vous reçu ?
Comme tout se sait en maison d’arrêt… notre démarche s’est ébruitée parmi les personnes détenues. Nous étions précédés par une espèce de rumeur favorable. S’il y avait de la réserve au départ, rapidement leur accueil et accords ont été inconditionnels pour ce projet. J’ai vu des personnes se livrer dans une promiscuité affolante avec leur codétenu allongé à un souffle de là. Ce fut pour moi des moments d’une intensité rare.
Un criminel, un délinquant méritent-ils autant de considération ?
Nous méritons tous la dignité, et je le dis sans naïveté sur le système carcéral aussi imparfait que nécessaire. Au cours de ces visites, certains détenus se relèvent, cherchent à devenir ce qu’ils auraient aimé être avant de se perdre. C’est une minorité mais elle existe. « Quand on a tout perdu, soit on sombre, soit on renaît » dit un aumônier. Au-delà des actes commis, les aumôniers posent sur la personne détenue un regard qui permet de tracer une autre route, qui l’aide à tourner la page douloureuse de la prison. Toutes ces femmes et tous ces hommes ont droit à une autre vie après avoir purgé leur peine. Ils ont droit à un avenir tout simplement.
Qu’est-ce qu’une visite d’aumônerie en prison finalement ?
C’est une relation entre des êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Nous sommes quelque part entre un petit bonjour de rien du tout qui permet d’appeler quelqu’un par son prénom et un échange biblique et existentiel.
Les aumôniers sont-ils eux-mêmes mis à l’épreuve ?
Les aumôniers n’ont pas accès au dossier judiciaire. Ils ne posent pas de questions. Toutefois, dans ce chemin de pardon, de rédemption, nombreux sont les détenus qui confient ce qu’ils ont fait. Les aumôniers sont donc au contact de choses terribles, confrontés à la souffrance des personnes détenues mais quelque part aussi aux actes terribles commis sur les victimes. C’est très difficile de ne pas le ramener chez soi.
Et l’une d’entre eux, Patricia dit pudiquement à un moment du film qu’elle n’a plus eu la force de continuer à visiter une détenue après avoir su les actes qu'elle avait commis, et sans la volonté de cette femme de s’engager sur un chemin de rédemption. C’est courageux qu’elle le dise. Cette relation au cœur à cœur avec les détenus renvoie immanquablement chacun à ses propres limites.
Avez-vous été personnellement impactée ?
La détresse de certains détenus m’a bouleversée. Il y a un tri social en prison. Les femmes m’ont particulièrement touchée. Surtout ces jeunes mères sud-américaines qu'on appelle "les mules". Ce qu'elles ont fait est bien sûr répréhensible, mais à un moment, on ne peut pas ne pas se mettre à leur place. Victimes de violences, de viols, de situations économiques désastreuses, elles se retrouvent à passer de la drogue pour subvenir à l’éducation d’enfants qu’elles élèvent souvent seules. Elles se retrouvent incarcérées dans un pays étranger pendant que les enfants qu’elles voulaient aider se retrouvent seuls ou répartis dans les familles quand elles existent. C’est très dur. Beaucoup vivent leur détention comme une double peine. Ce sont des univers où règne beaucoup de violence et par surcroît de lourdes difficultés à parler, à s’exprimer, à lire. Et pourtant à ma grande surprise, presque tous demandent une Bible comme elle demande une bouée de sauvetage.
Vous suivez aussi bien un pasteur aumônier qu’un religieux catholique…
À Fleury-Mérogis, l’œcuménisme se vit en actes. Ils perpétuent une très ancienne tradition de présence chrétienne en prison. Il y a vraiment des liens fraternels réels entre ces aumôniers chrétiens. Parfois même, certains détenus rencontrent aussi bien l’aumônier protestant que catholique et ce n’est pas un problème. Beaucoup de détenus vont aux deux célébrations, au culte le samedi et à la messe, le dimanche. Pour eux, le chemin que donne la foi est un chemin bon à prendre.
Propos recueillis par Magali Michel
Après avoir travaillé 10 ans au CFRT comme responsable de l'unité de programmes du Jour du Seigneur, Elodie Buzuel est ajourd'hui auteure-réalisatrice.
La visite, documentaire œcuménique diffusé le dimanche 1er septembre sur France à 10h