Décidément, le chantre de la mystique flamande, Jan van Ruusbroec l’Admirable (1293-1381), dit “le solitaire de la forêt de Soignes”, ne cesse de hanter la 77e édition du Festival d’Avignon ! Alors que sa “Pierre brillante” inspire à Philippe Quesne un moment de grâce dans “Le jardin des délices” de la carrière Boulbon, son “Ornement des noces” inspire à Patrick Corillon, avec la complicité de Dominique Roodthooft, une singulière pérégrination de l’imaginaire, d’au-delà de l’image et de la forme, dans la Chapelle des Pénitents blancs :  un “Portrait de l’artiste en ermite ornemental”.

Inspiré par la parole sur-essentielle du Pseudo Denys l’Aréopagite, mais aussi et surtout par la poésie mystique des béguines qui, dans l'ordinaire quotidien, évoquent les réalités les plus  hautes, Jan van Ruusbroec conduit le regard jusqu’à ce point ultime où, comme en un éclair, l’âme est saisie.

Retiré - comme un ermite au cœur d’une forêt sauvage - dans les méandres d’un monde d’images, de formes et de figures, Patrick Corillon, qui revendique l’héritage de Jan Van Ruusbroec, conduit notre attention jusqu’à ce point ultime où, comme en un éclair, l’émotion est saisie. Au gré d’une immersion dans “L’appartement à trous”, dans “un voyage de la flaque”, dans “Les images flottantes” et dans “Le dessous-dessus”, il éveille ou réveille en tout un chacun cette âme enfantine qui seule est  capable d’inventer - de découvrir au sens médiéval - des mondes et des univers dans ses propres jeux, ou de jouer, représenter et transfigurer le réel.

Avec “Les images flottantes” et  “Le dessous-dessus”, l’apprentissage de la mort, ou de la première rencontre de l’enfance avec la mort, est non seulement l’expérience de l'inaccessible jalonné de croix, mais aussi l’objet d’une transfiguration magnifiée par un vers à soie.

“Les images flottantes”, au gré de quelques morceaux de cartons de couleurs, sont des souvenirs d’enfance, des souvenirs de théâtre et de musée, où le “Ne me touchez pas” de  Mélisande, d’après la pièce de Maurice Maeterlinck, découvreur au XIXe siècle de Ruusbroec, puis le “Je ne touche pas” qu’impose l’oeuvre d’art ou le visage d’un proche, conduisent à cet inaccessible physique et métaphysique que suscite la mort, en l'occurrence celle d’un père.

 “Le dessous-dessus”, grâce à une petite boîte noire que chaque spectateur peut tenir sur ses genoux, est un voyage dans la nature,  sur terre, sous terre et au-dessus de terre, où le ver qui vient au jour, le “veromètre” rongeur de cadavre, et le “ver à papier”, “mangeur de mots et de livres”, conduisent, d’une figure à l’autre, au gré de rencontres quasi initiatiques, jusqu’à une ultime transfiguration de leur être.

Introduit par une exposition ludique, ou le spectateur se précipite à nouveau, dès la fin de la représentation, pour faire perdurer et résonner encore ce qu’il vient de vivre, ce “Portrait de l’artiste en ermite ornemental” nous apprend à devenir, ou à redevenir cet artiste qui, dans la solitude d’un coeur d’enfant face au monde, apprend à saisir le réel et l’au-delà du réel en toute chose. Un moment de pure poésie, dans une chapelle des Pénitents blancs qui, dans le Festival, lui est dédiée. Un temps de pure et grave imagination qui suscite l’émotion des grands comme des plus petits, des festivaliers comme d’une petite famille ukrainienne le jour de la représentation du 12 juillet.

« Portrait de l’artiste en ermite ornemental » de Patrick Corillon, du 6 au 12 juillet, à 11h et 18h  dans la chapelle des Pénitents blancs.

Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉ JO o.p.