La rencontre Foi et Culture de ce lundi 11 juillet accueillait Julien Gosselin, metteur en scène de “Extinction”, spectacle fascinant sur la fin annoncée de notre société occidentale. Devant une salle comble, en présence de François Fonlupt, archevêque d’Avignon, la rencontre fut stimulante et forte, à l’image de ce que sait engendrer le festival.

Révélé au Festival d’Avignon en 2013, par sa création “Les particules élémentaires” du sulfureux Michel Houellebecq, Julien Gosselin aura posé cette année-là un geste inaugural, promesse de grands talents, d’audace, de verve et de liberté qui réjouissent. Entouré de son collectif, né à l'Ecole du Théâtre du Nord, Si vous pouviez lécher mon cœur, il ne cesse d'ausculter les zones de désagrégation de notre société.

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Cette année, comme une poursuite à sa création d’il y a 10 ans, Julien Gosselin offre un triptyque de près de 5 heures, bousculant de face le spectateur et creusant dans la contradiction la force de sa proposition. Librement adapté du roman éponyme de Thomas Bernhard (1931-1986), “Extinction” nous fait remonter, dans sa partie principale, le temps et l’espace, au lieu où l’apogée culturelle et intellectuelle de l’Autriche en 1913 devient par elle-même déflagration et chaos, suicide collectif mis en oeuvre dans la guerre 14-18. Héritiers de ce siècle carnassier, que doit-on éteindre ? Que peut-on espérer ?  
 
Dès l’entrée dans la cour du Lycée Saint-Joseph, le spectacle est une rave-party, avec DJ, bières et fumigènes, qui scinde le public entre ceux qui osent danser sur scène - un dancing floor - et ceux qui les regardent, masses statiques et mouvantes en même temps, égarées ou en quête. Emergent alors, grâce à un dispositif vidéo immersif, Victoria et Rosa, qui, au gré d’un entretien intime, conduisent le spectateur, avant même le début de la seconde partie du spectacle, à l’endroit des coulisses. Intégralement filmée, à la manière du cinéaste d’origine allemande Max Ophuls (1902-1957), cette seconde partie nous introduit dans le climat des romans viennois d’Arthur Schnitzler (1862-1931) qui, en 1913, à la veille de la catastrophe de grande guerre, laisse présager l'effondrement d’une société dont Siegmund Freud (1856-1939) est l’implacable analyste. Après avoir disparu, Rosa réapparaît dans la troisième partie, où en lieu et place de la conférence qu’elle devait assurer sur la littérature allemande, se livre elle-même : fille d’un père nazi, elle désire éteindre le malheureux héritage de sa génération.

La rencontre de ce matin a creusé quatre figures qui dans le travail de Julien Gosselin s'appréhendent dans d’incessantes contradictions. La figure du nihilisme non pas tant que Julien Gosselin en serait le héraut, mais l’observateur mélancolique d’une matière à explorer. La figure de l’histoire d’un corps social dont la psychanalyse - aussi difficile qu’elle soit à opérer quand ce corps se mue en masse - est son chemin de rédemption. La figure de l’apocalypse, non seulement celle d’une catastrophe d’hier et encore redoutée aujourd’hui, mais aussi celle au sens littéral de ce qui est découvrir de notre humanité dans ce qu’elle de potentiel de vie à l’aune d’une fin du monde. Enfin la figure du théâtre, ou le retour sur le passé, grâce à la caméra se substitue au pur présent.

Extinction ou … inflammation ? Dans la scène finale, Rosa enflamme dans un long geste de la main sa photo de famille. Si l'histoire s’éteint en brûlant, apparaît aussi, en ultime paradoxe, cette faible mais réelle lumière. Dans la nuit obscure d’Avignon, nourrie des applaudissements du public, le Ciel semblerait consentir.  

« Extinction » de Julien Gosselin, du 7 au 12 juillet, à 21h30 dans la cour du Lycée Saint-Joseph. Un spectacle en tournée à ne pas manquer.

Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉJO o.p.    


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