Le cloître des carmes nous habitue chaque année du Festival à nous offrir un temps suspendu entre terre et ciel, où la poésie des mots flotte dans un écrin minéral, où l’histoire, d’hier et d’aujourd’hui, tutoie l’éternité. Le spectacle « Écrire sa vie » de Pauline Bayle, d’après “Vagues”, le roman de Virginia Woolf (1882-1941), nous donne en cette 77ème édition, dans la nuit, un moment éminemment poétique et de pur théâtre.
Invité à s’asseoir librement là où il désire, le spectateur découvre dans le cloître un dispositif bifrontal. Ainsi, face aux gradins, le public peut aussi prendre place au fond de la scène qui devient alors comme la bande passante des histoires à écrire. L’immersion fonctionne à fond quand les acteurs, préparant l’arrivée d’un ami attendu (Jacob alias Parcival selon le roman), lui font chanter une version revisitée de “Hey Jude” des Beatles.
Éminemment poétique, la scénographie est un remarquable travail d’épure et d’imagination ludique, voire dramatique, au gré des années qui passe. Sur un rivage de gravier, la nappe d’un pic-nic de prime enfance, devient la table des soirées de jeunesse, d’adolescence, d’âge mûr et déjà de vieillesse : comme par magie, elle se dresse elle-même, tremble et s’effondre. Trente ballons rouges qui s'égrènent, tels des champignons à cueillir, à dévorer ou à combattre quand ils deviennent des monstres dangereux, dessinent les aires de jeux des enfants des jours d’autrefois, s’envolent et dessinent des guirlandes qui sont comme autant de désirs de grandir, puis éclatent violemment quand sonnent le tocsin et les sirènes des jours de guerre. Quel saisissement quand, à 23h, le clocher du cloître des carmes, après plusieurs décennies de silence, reprend ses droits ! Les vagues, au gré de leurs flux et reflux, deviennent chorégraphies qui, d’une scène à l’autre, grâce à la musique post minimaliste de Philip Glass, nous rapproche toujours plus près de l’horizon ultime quand “les plus belles histoires commencent après un naufrage”.
Les dialogues intérieurs de Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny et Louis du roman de Virginia Woolf deviennent, grâce à l’adaptation de Pauline Bayle, des fragments de conversation entre David, Tristan, Nora, George, Judith et Céleste dont la candeur, les rêves et l’ambition, l’empathie, le ressentiment et la colère, la naïveté, la joie et la démission, se colorent, puis se décolorent pour retrouver in fine ce qui touche au plus près des premières émotions enfantines. La reprise, à l’envers, en quasi fin du spectacle d’une de ses toutes premières scènes, avec comédiennes et comédiens ayant échangés rôles et vêtements, brouillant instantanément tous repères du temps, de l’espace et de l’identité, incarne ce potentiel de vie qui s’est épanouit, ne s’est pas épanouit et aurait tant désiré d’épanouir.
C’était un pari risqué que d’adapter au théâtre “Waves” de Virginia Woolf. Après deux heures de spectacle, ce pari aurait pu perdurer encore sous le ciel étoilé d’Avignon - le premier depuis le début du Festival - tant on se laisse emporter par le flux et le reflux des sentiments qui, délicatement, atteignent le plus intime de soi-même, là-même où s’écrit sa propre vie, là-même où, par empathie, rêves et sympathie, résonnent mille vies. En effet, après “Ecrire sa vie” de Pauline Bayle, comment ne pas entendre résonner en soi, jusqu’au plus profond de la nuit avignonnaise, “Waves - Tuesday” de Max Richter (né en 1966), un des plus beaux hommages à Virginia Woolf qui, le 28 mars 1941, s’efface elle-même face à l’horizon d’un ciel privé d’étoiles ?
« Ecrire sa vie » de Pauline Bayle, du 8 au 16 juillet, à 22h dans le cloître des Carmes. En tournée, à ne pas manquer.
Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉJO o.p.
Photo Christophe Raynaud de Lage
Invité à s’asseoir librement là où il désire, le spectateur découvre dans le cloître un dispositif bifrontal. Ainsi, face aux gradins, le public peut aussi prendre place au fond de la scène qui devient alors comme la bande passante des histoires à écrire. L’immersion fonctionne à fond quand les acteurs, préparant l’arrivée d’un ami attendu (Jacob alias Parcival selon le roman), lui font chanter une version revisitée de “Hey Jude” des Beatles.
Éminemment poétique, la scénographie est un remarquable travail d’épure et d’imagination ludique, voire dramatique, au gré des années qui passe. Sur un rivage de gravier, la nappe d’un pic-nic de prime enfance, devient la table des soirées de jeunesse, d’adolescence, d’âge mûr et déjà de vieillesse : comme par magie, elle se dresse elle-même, tremble et s’effondre. Trente ballons rouges qui s'égrènent, tels des champignons à cueillir, à dévorer ou à combattre quand ils deviennent des monstres dangereux, dessinent les aires de jeux des enfants des jours d’autrefois, s’envolent et dessinent des guirlandes qui sont comme autant de désirs de grandir, puis éclatent violemment quand sonnent le tocsin et les sirènes des jours de guerre. Quel saisissement quand, à 23h, le clocher du cloître des carmes, après plusieurs décennies de silence, reprend ses droits ! Les vagues, au gré de leurs flux et reflux, deviennent chorégraphies qui, d’une scène à l’autre, grâce à la musique post minimaliste de Philip Glass, nous rapproche toujours plus près de l’horizon ultime quand “les plus belles histoires commencent après un naufrage”.
Les dialogues intérieurs de Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny et Louis du roman de Virginia Woolf deviennent, grâce à l’adaptation de Pauline Bayle, des fragments de conversation entre David, Tristan, Nora, George, Judith et Céleste dont la candeur, les rêves et l’ambition, l’empathie, le ressentiment et la colère, la naïveté, la joie et la démission, se colorent, puis se décolorent pour retrouver in fine ce qui touche au plus près des premières émotions enfantines. La reprise, à l’envers, en quasi fin du spectacle d’une de ses toutes premières scènes, avec comédiennes et comédiens ayant échangés rôles et vêtements, brouillant instantanément tous repères du temps, de l’espace et de l’identité, incarne ce potentiel de vie qui s’est épanouit, ne s’est pas épanouit et aurait tant désiré d’épanouir.
C’était un pari risqué que d’adapter au théâtre “Waves” de Virginia Woolf. Après deux heures de spectacle, ce pari aurait pu perdurer encore sous le ciel étoilé d’Avignon - le premier depuis le début du Festival - tant on se laisse emporter par le flux et le reflux des sentiments qui, délicatement, atteignent le plus intime de soi-même, là-même où s’écrit sa propre vie, là-même où, par empathie, rêves et sympathie, résonnent mille vies. En effet, après “Ecrire sa vie” de Pauline Bayle, comment ne pas entendre résonner en soi, jusqu’au plus profond de la nuit avignonnaise, “Waves - Tuesday” de Max Richter (né en 1966), un des plus beaux hommages à Virginia Woolf qui, le 28 mars 1941, s’efface elle-même face à l’horizon d’un ciel privé d’étoiles ?
« Ecrire sa vie » de Pauline Bayle, du 8 au 16 juillet, à 22h dans le cloître des Carmes. En tournée, à ne pas manquer.
Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉJO o.p.
Photo Christophe Raynaud de Lage