Parmi les innombrables propositions du Festival d’Avignon, les Fictions de France Culture, gratuitement offertes au public, sont assurément ce qu’il ne faut pas manquer, car c’est chaque année un rendez-vous qui, grâce à Blandine Masson et son équipe de techniciens, de comédiennes, de comédiens, de musiciennes et de musiciens, sans oublier les élèves des écoles de théâtre, fait merveille dans la cour du musée Calvet.
D’emblée, les Fictions de France Culture bénéficient d’un cadre qui laisse rêveur lorsqu’en matinée, ou mieux encore en fin de journée, vers 20h, au moment même où bruissent les ramures de quatre platanes séculaires, les rayons du soleil dardent sur la façade du plus bel hôtel particulier d’Avignon ; une façade dont la classique ordonnance s’apparente au frons scenae d’un théâtre antique.
Par ailleurs, si les Fictions de France Culture sont des lectures radiophoniques bien souvent inspirées par la littérature et la poésie, elles demeurent de grands moments de théâtre quand l’art théâtral est par essence une rencontre avec le public ; en l'occurrence, un public ému par la parole portée par des interprètes qui, a minima dans leur jeu, incarnent une véritable présence scénique.
“Pour être vivants à jamais, soyons d’éternels mourants.” Comment ne pas frémir à cette ultime parole de Federico Garcia Lorca qui, au soir du 14 juillet, résonne comme un point d'orgue dans la cour du musée Calvet ? Grâce aux Fictions de France Culture, le cri du poète espagnol assassiné en 1936 semble ressaisir et dès lors récapituler tout ce qui cette année se fait entendre à Avignon, de la Cour d’honneur du Palais des papes à la Cour du Musée Calvet, comme si le memento mori du Dämon - El funeral de Bergman d’Angelica Liddell, spectacle d’ouverture du Festival, en avait donné le La.
Pensées, orchestrées et interprétées avec sagacité, les Fictions de France Culture sont au final une véritable partition, sorte de poème symphonique où chaque mouvement avec sa tonalité propre déploie à satiété le même motif. Qu’il s’agisse du “mourir de ne point mourir” de Thérèse d’Avila (1515-1582) selon Julia Kristeva, le 10 juillet, de la facétie de celui qui “n’aime pas les romans” selon Jacque le Fataliste de Diderot (1713-1784), le 13 juillet, ou même encore du duende ardent et créateur selon Federico Garcia Lorca (1898-1936), le 14 juillet, tout concourt à faire résonner ce qui in fine anime l’âme humaine : un principe ou génie créateur, une ardeur ou flamme créatrice, une étincelle génératrice.
Si d’aucuns disent que les Fictions de France Culture sont inspirées par une muse - Calliope, Clio, Erato, Euterpe, Melpomène, Polymnie ou Thalie ? - et que d’autres s’aventurent à invoquer une transverbération angélique, lorsque l’être tout entier selon Thérèse d’Avila, la Madre, est traversée par le Verbe divin, il semble que ce soit l’insaisissable duende, génie des arts ibériques, du Flamenco au Greco, qui en cette 78e édition du Festival d’Avignon est à l’oeuvre dans la cour du musée Calvet.
Selon Federico Garcia Lorca, citant Goethe au sujet de Paganini, le duende est ce “pouvoir mystérieux que tous perçoivent et nul philosophe n'explique”, puis reprenant le mot d’un vieux maître guitariste, “le duende n'est pas dans la gorge, le duende monte par le dedans, depuis la plante des pieds.” In fine, pour le poète, dramaturge, peintre, pianiste et compositeur espagnol, le duende “n'est pas question d'adresse mais de véritable style vivant : c'est-à-dire de sang ; c'est-à-dire de très vieille culture ; mais aussi de création en acte.”
C’est cette “création en acte” que les Fictions de France Culture nous ont offert ! L’essence même du Festival d’Avignon.
frères Thomas Carrique, Charles Desjobert, Thierry Hubert et Rémy Valléjo
Fictions de France Culture en public, cour du musée Calvet, du 7 au 14 juillet, à 20h00. Toutes les lectures sont désormais accessibles en podcast sur France Culture, dont Tandis qu’elle agonise, Thérèse mon amour de Julia Kristeva, Jacques le fataliste, variations d’après Diderot et Jeu et théorie du duende de Federico Garcia Lorca suivi de Sonnets de l’amour obscur et autres poèmes.