Pour la matinée de Noël, la réalisatrice Lucile Bellanger se hisse au plus près de Nativités d’aujourd’hui et d’hier. À hauteur de verrières, un voyage documentaire à travers la lumière. Interview de la réalisatrice.

Pourquoi un film de Noël sur l’art du vitrail ? 
Peut-être parce que sans le Dieu lumière des chrétiens, il n’y aurait jamais eu d’art du vitrail en Occident… Le film s'ouvre sur un vitrail de la nativité, datant du XIIIe siècle. Il est en train d’être minutieusement restauré. Mais l’objectif de ce documentaire est d’éclairer l’histoire du vitrail. Ce travail du verre transforme la lumière extérieure physique en lumière divine. Dans la continuité de mes précédentes enquêtes, j’explore le patrimoine et la signification de ses éléments d’architecture. Rien n’est laissé au hasard. Et les vitraux n’échappent pas à la quête esthétique mais surtout symbolique et spirituelle des bâtisseurs. 

Qu’avez-vous appris de plus étonnant au fil de cette enquête historique?
Roses, rosaces, baies, lancettes, l’apparition de tous ces livres de verre a eu lieu en Ile-de-France. Nous possédons un patrimoine incroyable. Cet art au rayonnement mondial a vu le jour près de Paris vers 1135. Je l’ignorais. On doit cette audace à l’abbé Suger, l’architecte de la basilique de Saint-Denis. Il voulait un temple de lumière. Son ambition a été rendue possible par l’apparition de l’arc brisé et la croisée d’ogive. En équilibrant les forces, ces innovations ont autorisé l’ouverture de grandes fenêtres dans les murs des églises. En cette époque charnière, certaines de ces trouées atteignent vingt mètres de haut ! Le génie de générations de peintres et de vitraillistes a fait le reste en jouant à colorer et faire parler le verre. Quand les contemporains découvrirent l’ouvrage en 1144, ils furent étonnés par la lumière pénétrant dans l’édifice. Le verre coloré était très rare au Moyen Âge, inexistant dans l’Antiquité.

Suger, en spiritualisant la lumière avec du verre, fait désormais voir la lumière d’une toute autre façon. On découvre à travers elle le chant des saisons selon l’exposition et les heures du jour. Ses variations viennent faire vibrer les édifices.

Quel est le sens de ces prouesses techniques autant qu’artistiques ?  
Le vitrail médiéval exalte la lumière, symbole de la transcendance. À grand frais, les couleurs chatoyantes des vitraux évoquent l’éclat des pierres précieuses dont resplendit la Jérusalem Céleste dans l’Apocalypse. À travers ces parures translucides, la lumière traverse la matière pour manifester la gloire de Dieu. 

Quelles belles rencontres votre film promet-il ?
Mon documentaire est un voyage à la rencontre d’un patrimoine unique au monde. Nous irons à Rouen, Troyes, Chartres, Saint-Denis mais aussi à Saint-Just-Saint-Rambert, dans la région stéphanoise, où subsiste la seule verrerie française encore capable de créer du verre alliant l’aspect d’antan aux performances techniques les plus actuelles. J’ai également le privilège de suivre une restauratrice et son équipe. Dans l’abbatiale de Saint-Ouen, Flavie Serrière Vincent-Petit préside à la repose d’une des plus belles roses gothiques après nettoyage. Sa fascination pour le geste de l’ouvrier qui a travaillé sept ou huit siècles plus tôt, sa place dans une chaîne humaine de fabrication et de soins portés à des œuvres uniques ont quelque chose de très touchant. C’est inouï de voir des vitraux d’aussi près…

Quels ont été vos coups de cœur ?
Le vaisseau de verre de la Sainte-Chapelle m’a émerveillée. Les couleurs sont rouges, bleues, intenses en fonction de l’heure de la journée. La lumière est partout. L’architecture finit par s’effacer, réduite à une structure très légère de colonnettes de pierres. Cet âge d’or du vitrail est fabuleux même si j’aime aussi particulièrement la vibration des couleurs dans les verrières créées par le peintre et graveur contemporain Jean-Michel Alberola pour la cathédrale de Nevers.