Sous les majestueux platanes du cloître des Célestins, le Festival d’Avignon nous convie cette année à vivre une performance théâtrale, une expérience imaginative, où l’arbre n’est plus un simple objet de contemplation, mais le médium d’une imagination.  

C’est sous un chêne que s’achève « Falstaff » de William Shakespeare, et c’est - in fine - sous ce même chêne de tous les songes, rêveries et métamorphoses - du théâtre et de la psyché - que se cristallise l’onirisme loufoque, ludique, hypnotique, grave et dramatique de l’auteur, metteur en scène et comédien britannique Tim Crouch.  

Dans une incessante mise en abime, celle d’une histoire en imagination, mais aussi celle d’un processus de création et d’un principe d’interprétation, Tim Crouch nous mène jusqu’à cette force de conception qui, forte comme la mort, et peut être plus forte que la mort, se trouve aux confins du « sentiment océanique ».  

Inspirée par l’âme musicienne de Romain Rolland, le « sentiment océanique », selon Siegmund Freud, recouvre, entre autres réalités, ce que l’âme a perdu. Dans « An Oak Tree », Andy retrouve incidemment, dans un numéro d’hypnose, l’hypnotiseur qui, trois mois plus tôt, au volant de sa voiture, a renversé et tué sa fille Claire. Au gré d’un jeu scénique et théâtral où Andy est interprété par une personne - en l’occurrence Natacha Kroutchoumov le soir du 6 juillet - qui, une heure durant, découvre son texte et son rôle à chaque instant, la pièce entrecroise les niveaux de réalité, de rêve, de cauchemar et de persuasion, où hypnotiseur, auteur et metteur en scène ne sont plus qu’un.   Au gré des didascalies, Natacha Kroutchoumov s’achemine - et nous avec elle - jusqu’au lieu de la disparition de Claire ; là-même où se fait entendre un flot incessant de voitures ; là-même où résonnent les variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach que la petite fille apprenait à jouer au piano ; là-même où s’éveille et demeure la mémoire de ce qui n’est plus, n’a jamais été et sera même à jamais.  

Au plus profond de ce rêve éveillé d’Andy, perdu sur le lieu même de la disparition de sa fille, Claire devient alors un arbre. Mieux encore, elle est en soi un arbre - celui de tous les songes et des Métamorphoses d’Ovide - dont la ramure, sur fond de ciel gris, bleu ou violet, confine à l’inatteignable. À moins que ce soit l’arbre lui-même qui devient la jeune fille. L’acteur lui-même  

Si, une heure durant, sous la conduite de Tim Crouch, le spectateur ne cesse de se perdre en méandres, cherchant parfois à se raccrocher au réel, il doit consentir, tout comme l’interprète invité, Natacha Kroutchoumov, à s’abandonner à ce qui, essentiellement, est une expérience imaginative où tout ce qui advient dépasse l’imagination. Au final, il s’en suit un sentiment de vive émotion où la puissance du songe creuse l’empreinte d’une réalité tangible : la réalité d’une œuvre d’art qui puise son inspiration aux sources vives d’un esprit libre et enfantin. L’art foncièrement so british de Tim Crouch consonne alors parfaitement avec celui du poète romantique allemand Novalis quand ce dernier affirme que « la seule source véritable de l'art est notre cœur, le langage d'une âme enfantine et pure. Une œuvre qui n'est pas sortie de ce puits-là ne peut être qu'artifice. »  

« A Oak Tree » de Tim Croach, du 6 au 11 juillet, à 22h dans le cloître des Célestins.  

Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉ JO o.p.

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