“Quelle joie quand on m’a dit : “Allons à la maison Jean Vilar !” Lors de la 77e édition du Festival d’Avignon, Gwenaël Morin y avait donné un Songe, d’après Le songe d’une nuit d’été de William Shakespeare qui, dans sa radicale simplicité de moyens, nous avait fait rêver aux heures d’antan de la première édition de 1947 ! C’est donc impatients et joyeux que nous nous y sommes à nouveau précipités en cette année de la 78e édition, pour y découvrir - y vivre - Quichotte de Gwenaël Morin et ses complices d’après le L’ingénieux et noble Don Quichotte de la Manche de Miguel Cervantès.
Les complices de Gwenaël ce sont les comédiens de la compagnie de l’Oiseau-Mouche de Roubaix et Jeanne Balibar qui, par leurs talents respectifs, donnent au verbe de Cervantès une fragilité d’autant plus joyeuse qu’elle consonne avec la drolatique fêlure du lunaire, famélique et atemporel héros du siècle d’Or espagnol.
A Roubaix, en 1978, un groupe de comédien·ne·s, metteurs en scène et de travailleurs sociaux, désolés de constater l’absence sur les plateaux de théâtre des personnes en situation de handicap mental, fondent la compagnie de l’Oiseau-Mouche qui, ayant fait mouche, offre à des personnes en situation de handicap mental d’être comédiennes et comédiens à part entière aux côtés même des plus éminentes et éminents, comme Jeanne Balibar au Festival d’Avignon, pour un moment de vérité absolue.
L'œuvre de Cervantès, selon le philosophe René Girard, est le paradigme de la vérité romanesque face au mensonge romantique. C’est bel et bien cette vérité qui, avec trois fois rien, si ce n’est quelques bouts de carton et livres jetés au vent, insuffle à la représentation de Quichotte un moment de grâce sans pareil quand la comédienne, le comédien et le narrateur, sans fard et sans nul artifice, nous convoquent par leur pure présence : trois fois rien, ça c’est quelque chose !
Car c’est véritablement Dame Pauvreté que Gwenaël Morin et sa troupe épousent dans Quichotte… mais une pauvreté qui enrichit, invitant à la gratuité du jeu enfantin, au pas de côté et à l’écart refusant les artifices trompeurs, à l’attention intense portée à une histoire qu’on aime à entendre et réentendre. Pas besoin d’insérer des Verfremdungseffekt (effets de distanciation) brechtiens dans cette épopée toute nue, car elle constitue tout entière un éloge de l’homme non pas “augmenté” mais “dénué”, de l’homme tout simple, retrouvé grâce à Jeanne et sa prouesse, elle qui fut un jour Prouhèze (dans Le Soulier de Satin par Olivier Py), et à son entourage fidèle et moqueur… moqueur, à l’image de Marie-Noëlle, en Rossinante complice et hilarant, jouant les médiateurs entre le public dérouté et le chevalier incontrôlable. En effet, quelle belle richesse de savoir encore se moquer ! se moquer du besoin de s’inventer des ennemis jurés, des offenses insoutenables ou encore de bonnes raisons de tuer…
Dans le jardin de la maison Jean Vilar, l’imagination, loin d’être passive, au-delà du réel, cerne des irréalités plus tangibles qu’il n’y paraît d’emblée ! Contre toute attente, en pleine représentation, ce soir du 3 juillet, jour de la fête de saint Thomas, notre frère Thomas d’un ordre mendiant - frère prêcheur, alias dominicain - a été adoubé par le pauvre et démuni Don Quichotte de la Manche, alias la facétieuse et joyeuse Jeanne Balibar qui, très sérieusement, l’a désigné du nom de Don Tomaso de la Carioca !
frères Thomas Carrique, Charles Desjobert, Thierry Hubert et Rémy Valléjo
Quichotte, dans le jardin de la maison Jean Vilar, du 1er au 20 juillet, à 22h.