Dès son ouverture, avec “Welfare”, la 77e édition du Festival d’Avignon nous a offert une saisissante image d’urgence, de soins et de secours avec les rangées de box de toile blanche dressées dans la cour d’honneur du Palais des Papes. A mi-parcours, avec “Dans la mesure de l’impossible”, Tiago Rodrigues nous offre l’image, non moins saisissante, de l’urgence absolue d’une tente qui, le temps d’un spectacle - bien plus encore : d’un hommage - ne cesse de se déployer, dressée par les comédiens eux-mêmes avec les techniques anciennes du théâtre -  telle la tente de la prophétie d’Isaïe (Is 54, 2-3): “Elargis l’espace de ta tente, déploie sans lésiner les toiles qui t’abritent, allonge les cordages, renforce tes piquets, car à droite et à gauche tu vas éclater.”  

En proposant in extremis - pour remplacer une création de Khrystian Lupa laissée en suspens - son spectacle qui a déjà tourné en France, Tiago Rodrigues réussit, grâce à des comédiens et un musicien à pied d'œuvre, à créer l’événement à Avignon. Car il s’agit bien d’un événement quand le cœur est à ce point touché, non pas par de bonnes intentions, mais une parole incarnée, ajustée au plus près du geste humanitaire qui, au-delà du possible, est à la mesure de l’impossible.  

Ces dernières années, la mission humanitaire ne cesse d’inspirer la geste théâtrale. C’est non seulement  “Compassion ou l'histoire de la mitraillette” de Milo Rau, mais aussi “La parole des hommes” de Tiphaine Raffier ; spectacles qui s’imposent, chacun selon leur style, par la radicalité du questionnement qu’ils suscitent.  

Avec son spectacle, Tiago Rodrigues nous offre un monument au sens littéral : un lieu de mémoire de l’engagement, libre, dévoué, fragile et résolu, de ces femmes et ces hommes qui font tout leur possible, jusqu’aux frontières, voire au coeur de l’impossible,  pour aider, secourir et accompagner ceux et celles qui souffrent fléaux naturels, conflits internationaux et violence des hommes de par le monde. Grâce à la collection de quelques centaines d’interview et de témoignages, la parole résonne avec la force de la fragilité et du dénuement, car, volontaires et généreux, les humanitaires sont des êtres éprouvés, non seulement par les limites de leur mission, mais aussi par leurs propres limites d’humanité, voire leurs échecs. La parole des femmes et de ces hommes résonne d’autant plus fort quelle devient l’écho - porte parole - des démunis de la terre, comme cette femme qui, avec une attention désarmante, s’excuse de la tâche de sang que son jeune enfant, qui vient tout juste de rendre l’âme, a laissé sur la blouse d’une jeune infirmière.  

“Dans la mesure du possible” est un monument d’humanité, mais aussi de beauté, quand la beauté - kalos en grec - appelle - kaleo en grec. Cette beauté, c’est non seulement celle de la mise en scène de Tiago Rodrigues, mais c’est aussi la bonté d’un cœur généreux, un cœur qui bat comme la batterie qui, musicalement, accompagne la parole de tous et celles qui ont entendu l’appel d’aller jusqu’au bout, sans nul héroïsme, dans la mesure de l’impossible. Mais au final, la tente suspendue comme un linceul, se dépose sur la mémoire de ceux qui ont trouvé, et trouve encore, en elle un refuge d'humanité.  

“Dans la mesure de l’impossible”, opéra d’Avignon, du 13 au 23  juillet à 16h  

Frère Thierry HUBERT o.p., frère Charles DESJOBERT o.p., et frère Rémy VALLÉJO o.p.